Avant d’arriver à l’évaluation de la gouvernance de notre football par le journaliste sportif, il paraît judicieux de traiter de la place de l’éthique dans le journalisme et de l’importance du rôle de la télévision dans le développement du sport.
1- Journalisme sportif et éthique
Le sport n’est censé renvoyer qu’à lui-même. Et tous les acteurs de la vie sportive sont censés contribuer à créer les conditions favorables dans lesquelles le sport peut être sain, productif et un véritable partenaire de toutes les initiatives visant le développement économique et social.
Sans médias, les manifestations sportives et les exploits sportifs n’auraient jamais pu atteindre leur importance actuelle. L’amour que les marocains continuent à réserver à Saïd AOUITA, Hicham EL GUERROUJ ou aux membres de l’équipe nationale de football qui a représenté le Maroc à la coupe du monde au Mexique en 1986…, s’explique largement par la grande mobilisation nationale autour des athlètes marocains, laquelle n’aurait jamais eu la même ampleur si le peuple n’avait pas la possibilité de vivre les exploits en temps réel.
Si l’on parle aujourd’hui du village planétaire, c’est parce que les médias ont su profiter des technologies d’information et de communication pour contribuer à réduire les distances géographiques entre nations et rendre l’information et l’image accessibles à un grand public.
Il faut préciser, en échange, que les médias ont aussi profité du sport. Toute manifestation sportive où il y a un drapeau, un champion est un enjeu et il est de nature à séduire les médias en raison de son attrait pour le public.
Au Maroc, la libéralisation de l’environnement audio-visuel et le développement de la presse non partisane se sont traduits par l’exacerbation de la concurrence entre les différentes sources d’information. Mais ce qui est commun à tous, c’est l’exploitation intense de l’information sportive.
Ce n’est donc pas par simple hasard, que les chaînes télévisées cherchent l’exclusivité en matière de couverture médiatique de certains événements sportifs.
Ces derniers lui offrent une possibilité de démarcation par rapport à la concurrence et aussi la possibilité de réaliser des recettes importantes, en particulier, grâce à la publicité.
L’enjeu est tel que la presse écrite, télévision et radio commencent à avoir leurs propres stars qui ont beaucoup de fans au même titre que les sportifs. Une manifestation très visible de cette situation est la grande communication autour de la présence à Casablanca d’Issam CHOUALI éminent commentateur de la chaîne ART pour apporter un charme particulier au derby casablancais du 26 novembre 2008.
Le niveau de la gouvernance sportive dans un pays déterminé est largement influencé par le niveau des médias. C’est dans ce sens que le journaliste sportif doit faire preuve de neutralité, d’objectivité et d’intégrité lors de son intervention dans le processus de manipulation et de diffusion de l’information pour faire passer l’éthique et les valeurs sportives avant les considérations économiques.
Le journaliste sportif est un miroir qui reflète largement de la pratique sportive, quand il est intègre, assure une importante fonction de contrôle du mouvement sportif surtout en cas d’absence de procédures de contrôle. Et sa rigueur oblige les responsables de la politique sportive à être aussi rigoureux pour ne rien laisser au hasard. On peut même dire à la limite que pour le journaliste sportif l’éthique passe avant la compétence. Dans le cas inverse, le manque d’intégrité du journaliste sportif peut mettre en péril tout l’édifice sportif en dissimulant les informations portant atteinte à une partie déterminée, en minimisant les exploits qui méritent encouragements, ou en exagérant une critique. C’est dans ce sens où les relations du journaliste sportif avec les autres acteurs de la vie sportive doivent faire passer l’intérêt général avant les intérêts propres du journaliste.
La libéralisation à outrance n’a épargné aucun secteur. Et le journalisme sportif est, de plus en plus, soumis à la loi du marché.
Si les médias, dans beaucoup de pays, se sont mis à créer des événements sportifs, c’est que la loi de l’audience l’emporte, pour beaucoup, sur les autres considérations.
Dans beaucoup de journaux, on trouve dans la première page de grandes images de joueurs de clubs jouissant d’une grande popularité, mais sans qu’aucun contenu à l’intérieur du journal ne corresponde à la ladite image.
L’international marocain Talal KARKOURI a exprimé dans l’émission Addayf Al Khamess son étonnement de lire dans un journal une interview qu’il n’a pourtant jamais accordé à personne. Ce sont des mensonges destinés à séduire le lectorat.
Une autre règle élémentaire du journalisme n’est pas toujours respectée ; la neutralité. Un journaliste est un être humain et on ne peut que respecter ses préférences. Seulement, dans le cadre de l’exercice de son métier, il doit s’efforcer de mettre ces préférences de côté pour ne pas perdre son impartialité.
D’ailleurs, ce sont des journalistes sportifs qui ont suscité un débat autour de leurs confrères qui ont accompagné l’équipe nationale de football à la CAN du GHANA sur les frais de la FRMF. Si les critères de choix des journalistes, pouvant profiter du voyage ne sont pas clairs ou qu’ils ne fassent pas l’objet d’unanimité, ils briseront
« l’unité » du « corps » journalistique et fragiliseront son rendement.
Au Maroc, le public averti, ne trouve pas beaucoup de difficultés pour savoir quel journaliste préfère quelle équipe, mais aussi quel journaliste est l’ennemi de quelle équipe. C’est dire que quand il est question d’éthique et de déontologie, c’est souvent pour fournir un discours d’auto-justification en parfaite déconnexion avec la réalité.
Personne, d’ailleurs, n’a été surpris d’écouter un membre du CNOM en train défendre, à partir de sa propre radio, les qualités du président sortant de la FRMF et président du CNOM.
2- L’impact de la télévision sur le sport
La télévision et le sport professionnel sont intimement liés économiquement au point qu’on ne peut concevoir la première sans le second et vice versa.
En réalité, la télévision a servi financièrement le sport et ce dernier, en étant un gisement d’audience, a aussi servi la télévision.
La convergence d’intérêt entre le sport et la télévision réside dans le fait que le premier garantit l’audience et partant les recettes publicitaires et/ou d’abonnement pour les différentes chaînes cryptées ou non, de même que des retombées en termes d’image et de standing. La seconde, quant à elle, contribue à la promotion du sport et au renflouement de ses caisses, ce qui favorise son développement. L’impact du sport sur la télévision est aussi technique. La recherche d’une dimension extraordinaire de réalité et son corollaire le numérique sont le résultat de l’influence du sport. La télévision, en s’imposant comme premier financeur de la compétition sportive, contribue à façonner celle-ci à sa guise donnant naissance à un « sport télé » qui n’est, ni plus ni moins, un produit de consommation audio-visuelle du produit sportif dans un habillage répondant mieux aux exigences de la télévision et du téléspectateur.
Le sport est devenu une vitrine publicitaire.
Le trafic de l’émotion, le gros plan, le ralentissement… ne sont-ils pas l’expression du façonnement du sport d’élite en fonction des exigences d’audience.
Au cours des sept dernières années, on a assisté dans le sport espagnol à « une transformation majeure dans la tentative de contrôle des principales institutions sportives du pays (Comité olympique espagnole, Fédération de football, Ligue de football professionnel, mais également des clubs comme Barcelone ou Madrid) par des groupes économiques. En effet, les grands groupes médiatiques et audio-visuels ainsi que les agences de communication et de publicité essayent, par tous les moyens, de placer dans les lieux de décision de ces institutions ».
D’ailleurs, beaucoup d’efforts ont été fournis pour rendre le sport « télégénique ». Si, par exemple, dans le judo les athlètes portaient le blanc, ils mettent actuellement des kimonos rouges ou bleus, ce qui permet de discriminer entre adversaires d’un même combat et mieux apprécier les gestes techniques de chacun d’eux.
Pour l’escrime, les masques sont devenus transparents pour qu’on puisse voir le visage des sportifs.
Dans le football, les changements ayant touché les règles du jeu, le poids du ballon, la couleur des tenues des arbitres…ont, certainement, pour but d’augmenter le nombre de buts et faire de ce sport un produit médiatique par excellence.
La compétition a été parfois faussée ou dénaturée par rapport aux exigences de la télévision. La détermination des horaires des compétitions n’est plus fonction de l’intérêt des sportifs, mais de l’audience. Au Mexique, à titre d’exemple, des matchs de la coupe du Monde de 1986 se déroulaient à midi pour être diffusés en soirée en Europe.
L’expansion du sport dépend de sa capacité à se vendre, sur sa médiatisation croissante. Cependant, « l’interpénétration du sport et de la télévision s’accompagne d’effets ambivalents. Il y a contradiction entre une logique économique des diffuseurs tendant à privilégier les seules compétitions drainant audience et annonceurs et l’éthique sportive voulant que l’ensemble des disciplines sportives aient accès à l’antenne pour assurer leur promotion auprès des sponsors et des pratiquants »219 .
Et « la réduction du sport à une activité économique, dont la valeur ne serait plus estimée qu’à la seule aune de sa performance médiatique constitue un danger pour
la sauvegarde de l’éthique ».